Ce n’était pas le plan. Ce n’était pas ce qu’annonçaient les fichiers. Ce ne fut pas la joie. Hier, Ian Lipinski et Antoine Carpentier, ainsi que leurs compagnons d’évasion dans le Nord, se sont fait piéger par une zone de hautes pressions, où le vent s’est éteint. Coupure nette. Panne générale. Extinction des feux ! Pendant six heures, entre le milieu de nuit métropolitaine et la matinée d’hier, les speedomètres affichaient péniblement deux chiffres faméliques : 2,3 nœuds, 1,9 nœud… « Une nuit catastrophique, ça ne s’est pas passé comme dans les livres, commentait Antoine Carpentier, dépité. Six heures avec les voiles qui claquent… Nous avons été meilleurs que les copains, mais… » Mais ce ne fut pas le pied. Il a aussi fallu sortir les cirés puisque, pour ambiancer la situation, la pluie s’était invitée.
Lorsque le coskipper du Class40 Crédit Mutuel a évoqué la situation, le duo avait enfin traversé ce front et retrouvé de la vitesse. Par la suite, sous spi dans un vent frais de Nord qui a mis de l’Ouest dans sa course, le duo a trouvé une belle vitesse et gommé une partie de son retard sur les leaders du groupe du Sud. Depuis quelques heures, le déficit se comble de manière effective. En une vingtaine d’heures, il est passé de 180 milles à 130, sous le double effet de la vitesse supérieure des bateaux du Nord et de la plongée vers le Sud. Et, à moins d’un nouveau coup de Trafalgar, Ian et Antoine ont au moins deux belles journées de pleine vitesse devant eux.
Ce qui devrait également les réconforter, c’est que les gars du Sud ne sont pas plus rassurés. Le scénario de cette Transat Jacques Vabre en Class40 est dicté par la société de la Grande Incertitude et les dialogues en vacation sont déclamés par la compagnie du On verra bien. Dans une soixantaine d’heures, une zone de vents faibles va en effet s’étaler entre la ligne d’arrivée et la route des monocoques. C’est la gestion de ce moment sensible qui nourrit à la fois la volonté des Nordistes d’aller tenter leur chance par le haut et l’obligation faite aux classicistes méridionaux de descendre vers le Sud en escalier. Ce sont ces derniers qui sont désormais contraints de rallonger la route.
Malgré ces quelques heures passées à ronger leur frein dans la pétole, Ian Lipinski et Antoine Carpentier n’ont pas perdu le combat. S’ils n’ont pas d’influence sur ce qui se passe dans leur Sud, ils tirent bien leur épingle du jeu dans la voie du Nord. À fond, comme toujours.