À mi-chemin jeudi soir entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre, Ian Lipinski a confié à sa plume le soin de dénouer la confusion des peines qui l’étreignent, entre déboires techniques et brutalité de la vie.
« Ce matin, j’envoyais une vidéo. Le moral était bien remonté car, comme je l’expliquais, après mes péripéties du troisième passage de front qui m’avaient contraint à me dérouter vers les sud pour panser mes plaies, le bateau était à nouveau opérationnel. En effet, après quatre montées à mi-hauteur de mât dont deux nocturnes, après quelques bricolages de matelotage, de réparation de voiles, après pas mal de réflexion pour savoir comment m’y prendre au plus vite, j’avais réussi à disposer de nouveau d’un bateau à 100%.
Et surtout, c’était deux heures avant la fin de la remontée au vent. Deux heures avant les grandes glissades, les longs bords de portant et peut-être, qui sait, l’excitation de revenir au contact de certains concurrents que je ne pensais pas pouvoir revoir avant la Guadeloupe. Car mon détournement vers le sud m’a coûté très cher. Je n’avais pourtant pas le choix. Ce n’était pas une décision stratégique, mais une obligation de repli, puisque je ne pouvais plus aller chercher le plus fort de vent et de mer avec ma voile prévue pour cela, bloquée en drapeau qu’elle était à 3 mètres au-dessus du pont…
Donc voilà, ce matin, le moral était bon ! Il ne fallait pas se réjouir trop vite, car une heure après cette prise de vidéo, et une heure avant d’envoyer les voiles de portant… Paf ! Je heurte quelque chose que je n’ai pas vu ressortir derrière le bateau ! Et, ainsi qu’à la Transat Jacques Vabre l’année dernière, dirons-nous à peu près au même moment de la course, mon voile de quille est parti en chou-fleur : frein à main tiré jusqu’en Guadeloupe. L’abattement, je l’avoue, la déception et la colère m’ont tout de suite envahi. Avec Pic*, nous avons envisagé des solutions pour essayer de diminuer les effets néfastes de ce dégât, mais nous avons décidé que ce serait trop compliqué, voire dangereux de tenter une réparation sous-marine de fortune. Je vais donc continuer ainsi, en m’appliquant du mieux que je peux, ce que je ne cesse de faire depuis le début de cette course qui ne veut pas me sourire.
C’est alors qu’on m’a informé d’une nouvelle dramatique : l’accident de la vedette à l’arrivée des Ultim. C’est le grand choc, l’incompréhension. Tout devient vite dénué de sens. Les misérables tracas que notre obsession de la course nous fait regarder avec importance deviennent dérisoires, risibles. Je ne réalise pas qu’Alex (Picot), avec qui nous avions partagé de belles rigolades au Trophée Mer Montagne ne soit plus là. Quelle horreur ! Je pense fort à lui depuis cette triste nouvelle. Je pense aussi à François (Naveilhan) que je ne connais pas. Tâchons de profiter de la vie, et moi de la chance de traverser l’océan sur un si beau bateau. Qu’importent les détails insignifiants. Vive la vie ».
* Sébastien Picault, son directeur technique